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Haïti et les États -unis, une relation d'incompréhension

 

Haïti et les États -unis, une relation d'incompréhension

La décision prise par l’administration américaine d’interdire l’entrée des ressortissants haïtiens sur le territoire des États-Unis marque un tournant majeur dans les relations entre les deux pays. Une relation tissée depuis plus d’un siècle, mais souvent marquée par des incompréhensions, des tensions diplomatiques et des déséquilibres profonds. Cette nouvelle mesure vient ainsi raviver les blessures historiques et met en lumière les fragilités persistantes dans les rapports entre Haïti et le pays de l’Oncle Sam.


L’histoire des relations entre Haïti et les États-Unis remonte bien avant la proclamation de l’indépendance haïtienne en 1804. En effet, plusieurs figures haïtiennes, notamment des soldats de Saint-Domingue, ont participé à la guerre d’indépendance américaine aux côtés des insurgés contre l’Empire britannique, notamment lors de la bataille de Savannah en 1779, sous commandement français. Après l’indépendance d’Haïti, en dépit du contexte international hostile, des relations commerciales se sont rapidement nouées entre la jeune république et les États-Unis. Cependant, Haïti représentait aux yeux des élites américaines une menace idéologique et sociale, car l'existence même d'une République noire libre constituait un précédent dangereux pour un pays où l’esclavage des Noirs était encore en vigueur.

En 1826, lors du Congrès de Panama convoqué par Simón Bolívar pour unifier les jeunes républiques latino-américaines autour d’une alliance politique et militaire, Haïti — pourtant l’un des premiers soutiens de Bolívar — ne fut pas invitée. Cette exclusion, largement influencée par les États-Unis, visait à éviter de légitimer un État né d’une révolution d’esclaves, ce qui risquait d’avoir des répercussions internes aux États-Unis eux-mêmes.

Ce n’est qu’en 1865, à la suite de la guerre de Sécession et de l’abolition de l’esclavage, que les États-Unis établirent officiellement des relations diplomatiques avec Haïti. Cette reconnaissance formelle fut scellée sous la présidence d’Abraham Lincoln pour les États-Unis et celle de Fabre Nicolas Geffrard du côté haïtien. Cet acte diplomatique marqua un tournant historique, reflétant une nouvelle cohérence entre la politique interne américaine — désormais opposée à l’esclavage — et sa position sur la scène internationale.

Le XXe siècle a été particulièrement mouvementé dans l’histoire des relations entre Haïti et les États-Unis. Cette période a été marquée par une série d’événements regrettables qui ont profondément affecté la souveraineté haïtienne et laissé des cicatrices durables dans la mémoire collective du peuple haïtien. Parmi les premiers faits marquants figure le vol des réserves d’or de la Banque nationale d’Haïti en 1910, orchestré avec la complicité d’intérêts financiers américains. Cet acte, perçu comme une atteinte directe à la souveraineté économique du pays, a jeté les bases d’une ingérence croissante des États-Unis dans les affaires haïtiennes.

Cinq ans plus tard, en 1915, débuta l’occupation militaire américaine d’Haïti, qui allait durer jusqu’en 1934. Pendant près de vingt ans, le pays fut administré de facto par les autorités américaines, sous prétexte de rétablir l’ordre et de garantir la stabilité. Cette occupation fut marquée par une série d’abus, d’injustices et d’humiliations pour le peuple haïtien. Parmi les épisodes les plus tragiques de cette période figure l’assassinat du héros national Charlemagne Péralte en 1919, chef de la résistance contre l’occupation. Sa mort et la manière dont son corps fut exposé publiquement par les forces d’occupation ont profondément choqué la population et renforcé le sentiment nationaliste. D’autres incidents, comme l’affaire de Marchaterre, ainsi que de nombreux cas isolés d’exactions commises par les forces d’occupation, témoignent du climat de tension et de violence qui régnait alors.

Ainsi, le XXe siècle, loin d’être une période de coopération harmonieuse entre Haïti et les États-Unis, fut plutôt une époque de domination, de résistance et de méfiance, qui a durablement influencé la perception haïtienne de son puissant voisin du Nord. Malgré les tensions et les blessures héritées de l’occupation américaine, Haïti a, à plusieurs moments clés du XXe siècle, apporté son soutien aux États-Unis dans des contextes géopolitiques majeurs.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Haïti a activement soutenu l’effort de guerre allié en mettant à la disposition des États-Unis plusieurs plantations destinées à la production de caoutchouc, une ressource stratégique indispensable pour l’industrie militaire à l’époque. Ce geste de coopération témoignait d’un rapprochement entre les deux nations, dans un contexte global où les alliances étaient vitales. Plus tard, durant la guerre froide, Haïti s’est alignée sur les positions américaines, notamment dans sa lutte contre le communisme. Sous les dictatures de François Duvalier puis de Jean-Claude Duvalier, le régime haïtien s’est distingué par un zèle idéologique anti-communiste, ce qui a contribué à maintenir le soutien tacite — sinon explicite — des États-Unis, malgré les violations systématiques des droits humains.

Un épisode diplomatique particulièrement marquant fut celui de la Conférence de Punta del Este, en 1962, lorsque les États-Unis cherchèrent à exclure Cuba de l’Organisation des États américains (OEA) en raison de son orientation marxiste. Dans ce contexte, le vote d’Haïti fut décisif. En soutenant la position américaine, Haïti contribua à isoler Cuba sur la scène interaméricaine, renforçant ainsi son image d’allié fidèle de Washington.

Ces actes de coopération stratégique ont certes rapproché Haïti des États-Unis, mais ils ont aussi souvent été dictés par une logique de dépendance, où le soutien politique et économique américain était perçu comme vital pour la survie des régimes en place — parfois au détriment des intérêts démocratiques et populaires du peuple haïtien. La migration haïtienne vers les États-Unis prend racine dans les années 1970, période marquée par la dictature des Duvalier père et fils. Fuyant la répression politique, la pauvreté croissante et l’absence de libertés fondamentales, des milliers d’Haïtiens ont cherché refuge sur le sol américain. Ce mouvement migratoire s’est intensifié au fil des décennies, contribuant à l’établissement de fortes communautés haïtiennes, notamment en Floride et à New York.

Aujourd’hui, cette diaspora représente un acteur économique majeur pour Haïti. Par ses envois de fonds — les fameuses remises migratoires — elle contribue à hauteur de près de 20 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Ce chiffre témoigne non seulement d’un lien économique structurel entre Haïti et les États-Unis, mais aussi du rôle vital que jouent ces ressortissants dans la survie de l’économie nationale haïtienne.

Au-delà de l’économie, la communauté haïtienne participe activement à la vie civique et politique américaine, notamment dans l’État stratégique de la Floride. Ce groupe démographique a gagné en influence, devenant un vecteur électoral important lors des scrutins présidentiels, comme ce fut le cas lors de l’élection remportée par Donald Trump, dont l’administration a par la suite adopté des mesures migratoires jugées hostiles envers les Haïtiens. La décision de restreindre, voire d’interdire l’entrée des ressortissants haïtiens sur le sol américain, prise par cette administration, peut être perçue comme un revers symbolique, voire un camouflet, à une relation historique vieille de plus d’un siècle. Dans un contexte international où de nouveaux pôles de puissance émergent et où les équilibres géostratégiques se redéfinissent, une telle position pourrait bien s’avérer être une erreur de jugement de la part des États-Unis.

Car Haïti a toujours été, malgré ses fragilités internes, un partenaire fidèle des États-Unis. De la participation à la Seconde Guerre mondiale à l’alignement idéologique durant la guerre froide, en passant par le soutien diplomatique dans les arènes interaméricaines, Haïti a constamment affiché une solidarité historique avec son puissant voisin du Nord. En ce sens, une telle mesure migratoire ne reflète pas seulement une incompréhension historique, mais aussi une rupture stratégique, à un moment où la stabilité régionale, les dynamiques migratoires, et les enjeux de coopération économique exigent au contraire plus de dialogue, de respect mutuel et de vision commune.

Auteur : Joseph Wilfrid 

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