Le rôle des sanctions internationales dans l’assainissement du processus électoral haïtien

 

Le rôle des sanctions internationales dans l’assainissement du processus électoral haïtien

Les élections demeurent l’un des moyens les plus sûrs pour doter un pays de représentants légitimes, que ce soit pour un mandat exécutif ou pour un mandat législatif. En Haïti, depuis 2021, nous sommes plongés dans un profond marasme politique. L’assassinat du président de la République[1] a créé un vide institutionnel au niveau de l’exécutif, et après de longues négociations, la classe politique et la communauté internationale ont accepté le docteur Ariel Henry comme Premier ministre. Il avait pour mission essentielle, d’une part, de favoriser la tenue des élections afin de renouveler le personnel politique, et d’autre part, d’assurer un climat minimal de sécurité dans le pays.

Cependant, Ariel Henry a connu un échec manifeste. Après plusieurs tâtonnements et l’absence de résultats concrets, un Conseil présidentiel de neuf membres a été mis en place, porteur des mêmes responsabilités dont la finalité est d’organiser les élections et rétablir la sécurité. Si, concernant la sécurité, nous partageons tous de profondes inquiétudes, force est de constater qu’un vent d’espoir souffle tout de même sur le pays en ce qui a trait à la tenue des prochaines élections. Le CEP est désormais constitué, un décret électoral a été publié[2], ainsi que le calendrier pour les scrutins prévus en 2026.

Toutefois, ce décret électoral présente une lacune majeure. Ce dernier ne traite pas d’un point fondamental relatif à la participation des candidats. Certes, la Constitution définit dans ses articles 134 et suivants les conditions nécessaires pour devenir candidat à la présidence, au Sénat, à la Chambre des députés, ou encore aux fonctions locales telles que CASEC, ASECs et magistrats. Néanmoins, le CEP, qui est l’organe chargé d’organiser les élections et d’enregistrer les candidatures, n’a pas pris soin d’aborder la question des individus sanctionnés par des pays partenaires, notamment le Canada, les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni.

C’est pourquoi je me porte volontaire pour exposer un ensemble de points que je considère cruciaux et qui, selon moi, justifient pleinement l’exclusion de ces personnalités sanctionnées du processus électoral.

 

1)    La question de moralité

La moralité demeure un facteur fondamental dans toute société qui aspire à la stabilité, à la transparence et à la bonne gouvernance. Un candidat doit être en mesure d’inspirer le respect et la confiance. Il est donc inconcevable de tolérer que des individus dont la réputation est déjà gravement entachée puissent prétendre représenter la nation.

Un candidat est un modèle. Dans cette optique, il incarne un espoir, un repère, un phare auquel les jeunes, les électeurs et même la communauté internationale peuvent s’identifier. S’il est vrai qu’un candidat présente un programme, expose une vision et propose des solutions pour son pays, il est tout aussi vrai que son intégrité personnelle constitue le premier critère d’appréciation. On ne peut envisager sérieusement qu’une personne impliquée dans des affaires douteuses, ou pire encore, soumise à des sanctions nationales ou internationales, qu’elles soient morales, pénales, économiques ou administratives, puisse aspirer à diriger l’État.

Le bien-être collectif repose sur des dirigeants honnêtes, crédibles, humbles et exempts de tout soupçon majeur. L’exigence de moralité n’est pas un luxe au contraire c’est une nécessité vitale. Elle garantit que les générations futures pourront s’inspirer de celles d’aujourd’hui. Il est de notre devoir de leur léguer un héritage moral irréprochable, en veillant à ce que seuls des individus au comportement éthique exemplaire puissent accéder aux responsabilités publiques.

   Les crimes ont été commis en Haïti

Les personnalités sanctionnées ont été exposées sous les projecteurs parce qu’elles ont contribué à l’effondrement progressif de notre pays. Elles ont financé et armé des gangs, se sont servies de ces groupes armés pour influencer les élections, terroriser la population, s’enrichir au détriment du peuple et détruire les fondations mêmes de notre nation. Il est essentiel de rappeler que ces crimes ont été commis en Haïti, sur notre territoire national, celui-là même que ces dirigeants avaient juré de protéger et de servir.

Il ne faut en aucun cas interpréter les sanctions internationales comme un acte de vengeance ou comme un règlement de comptes politique. Elles doivent être comprises comme une réponse aux effets catastrophiques qu’ont eus les actions de ces individus sur la société haïtienne. Aujourd’hui, notre pays compte plus d’un million de personnes déplacées internes[3], des écoles et des églises délocalisées ou détruites, des milliers de vies humaines fauchées, et des générations d’enfants privées d’un avenir prometteur. Les conséquences sont visibles, tangibles, et ce sont les Haïtiens qui en paient le prix le plus élevé.

Les sanctions n’ont pas été imposées parce que ces personnes ont commis des crimes aux États-Unis, au Canada ou au Royaume-Uni. Elles l’ont été parce que ces individus ont violé, bafoué et trahi les droits fondamentaux du peuple haïtien, et parce que notre système judiciaire, affaibli et souvent paralysé, n’a pas été en mesure de les poursuivre.

À maintes reprises, des témoignages et des enquêtes ont révélé ces complicités. ODMA[4] a dénoncé le fait qu’un député connu lui fournissait des armes , des véhicules officiels ont été vus pénétrant dans les repaires de gangs pour leur livrer munitions et armes, des distributions illégales d’armes ont été réalisées au vu et au su de toute la société. Ces faits ne relèvent ni de rumeurs ni de spéculations : ils constituent des atteintes graves à la sécurité nationale, et leurs auteurs sont directement responsables du chaos que nous vivons.

3)     Une accumulation illégitime de richesses et un risque de concurrence déloyale

Les personnes sanctionnées ont amassé des millions de gourdes à travers leurs transactions avec les gangs armés. Cette richesse illicite s’est construite sur le dos d’un peuple appauvri, traumatisé et abandonné à lui-même. Dans un pays où les ressources sont extrêmement limitées, cette réalité constitue une menace directe pour l’intégrité du processus électoral.

Nous savons que le CEP dispose de moyens modestes pour organiser les prochaines élections. Selon les prévisions, chaque candidat à la présidence pourrait bénéficier d’un appui d’environ 20 millions de gourdes pour mener sa campagne. Une somme insuffisante pour couvrir tout le territoire national, mais que des candidats honnêtes et sérieux accepteront d’utiliser avec prudence et créativité.

En revanche, ceux que nous qualifions justement de vautours , ces individus qui ont pillé les caisses publiques, alimenté les gangs et conduit le pays au chaos,  disposeront de fonds personnels illimités si leur candidature était acceptée. Ils pourraient investir massivement dans leur campagne, grâce à l’argent volé à la nation. Cela créerait une concurrence déloyale, où les candidats sanctionnés jouiraient d’un avantage financier écrasant sur tous les autres.

Bien entendu, il est normal que des chefs d’entreprise ou des sympathisants contribuent au financement de certaines campagnes. Mais les personnalités sanctionnées, ayant détourné des ressources publiques et extorqué la population par la violence et la corruption, ont aujourd’hui la capacité de financer leur campagne entièrement par elles-mêmes, sans avoir recours au CEP, ni à aucun mécanisme légal de financement.

Si, par malheur, ils parviennent à se faire élire, il ne fait aucun doute qu’ils chercheront à récupérer l’argent investi dans la campagne au détriment du peuple. Leur retour au pouvoir serait synonyme d’un cycle sans fin de prédation, d’impunité et d’abus. Le peuple doit donc se montrer vigilant. Il est impératif de les écarter du processus électoral. Les accepter, c’est prendre le risque de replonger Haïti dans les mêmes souffrances, les mêmes dérives, les mêmes calvaires qui ont détruit l’espoir des générations précédentes.

4)    Un grave déficit de perception des ressources humaines disponibles en Haïti.

Les personnes sanctionnées tentent souvent de convaincre qu’elles sont les mieux placées pour apporter des solutions durables au pays. Si le peuple en vient à croire ce discours, cela révèle un problème beaucoup plus profond qui est un grave déficit de perception des ressources humaines disponibles en Haïti.

Nous n’avons pas un problème d’absence d’hommes et de femmes d’État. Nous n’avons pas un problème d’absence de personnes sérieuses, honnêtes, capables et crédibles. Le véritable problème réside dans la visibilité accordée à ceux qui ont déjà trahi la nation. Car contrairement à ce qu’affirment les sanctionnés, Haïti dispose bel et bien de personnalités compétentes, à l’intégrité éprouvée, qui ont toujours refusé de se compromettre dans des systèmes corrompus.

Nous pouvons citer, parmi tant d’autres, Clarens Renois, un homme dont la droiture et la crédibilité sont reconnues. Un homme qui, dans le passé, a refusé de participer à des gouvernements corrompus et prédateurs. Nous avons également des figures telles que Jacky Lumarque, Etzer Emile, et bien d’autres dont la liste est loin d’être exhaustive.

Il ne faut pas se laisser abuser par les discours de ceux qui affirment : « Nous avons l’expérience, nous ferons mieux cette fois-ci. » Ils ont déjà été au pouvoir. Ils ont déjà eu l’occasion de servir le pays. Et qu’ont-ils fait ? Ils ont œuvré contre le bien-être collectif, se sont enrichis au détriment du peuple, ont armé des gangs et participé à la destruction de l'État.

Aujourd’hui, ces mêmes personnes voudraient se présenter comme des sauveurs, des rassembleurs. C’est une insulte à l’intelligence du peuple, une stratégie de recyclage politique dangereuse. Haïti n’est pas en manque de compétences, au contraire, pour la première fois depuis 1987, nous avons une réelle opportunité d’élire des dirigeants honnêtes, capables, crédibles, qui veulent sincèrement voir ce pays avancer vers la modernisation et un développement durable. Le peuple doit rester attentif et lucide. La reconstruction nationale ne pourra se faire qu’avec des femmes et des hommes dont l’intégrité est intacte et certainement pas avec ceux dont les actions passées ont plongé la nation dans le chaos.

Somme toute, le destin d’un peuple lui appartient. À travers les élections, c’est au peuple de prendre en main son avenir en évaluant les idéologies, les projets et la vision que proposent les candidats. Ce choix doit être rationnel, éclairé et orienté vers le progrès collectif. Il est donc essentiel de protéger les électeurs contre des candidatures douteuses, portées par des individus sanctionnés pour corruption, pillage ou comportements contraires à l’éthique publique. Dans cette perspective, le Conseil Électoral Provisoire doit afficher une position claire et ferme qui s’articule autour de cette logique que les personnes sanctionnées ne doivent pas participer aux élections. Ce principe ne devrait faire l’objet d’aucun débat. Le pays dispose d’un vivier de ressources humaines compétentes, intègres et capables de contribuer véritablement à son redressement. Écarter les sanctionnés, c’est donner à Haïti une chance réelle d’emprunter enfin la voie de la gouvernance responsable et du développement durable.

 


[1] Jovenel Moise né le 20 juin 1968, assassiné le 7 juillet 2021.

[2] 30 octobre 2025

[4] https://www.tripfoumi.com/blog/2020/02/08/pourquoi-le-depute-profane-ne-fait-pas-lobjet-dun-avis-de-recherche-aussi-se-questionne-odma/

 Eduardo MASSENA

Pou ou jwenn plizyè atik enteresan :

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