Partir ou se taire : ma part de lâcheté
Partir ou se taire : ma part de lâcheté
Je fais partie de cette génération qui a quitté le pays.
Comme beaucoup de jeunes, j’ai choisi le départ plutôt que l’affrontement, la survie individuelle plutôt que le combat collectif. Et aujourd’hui, je dois le reconnaître : ce choix, aussi compréhensible, soit-il, porte en lui une part de lâcheté.
Nous invoquons l’insécurité, l’absence d’avenir, l’effondrement de l’État. Tous ces arguments sont réels. Mais ils ne suffisent pas à nous absoudre totalement. Car pendant que nous partions, le pays était pillé, ses institutions vidées de leur sens, et sa jeunesse réduite à l’exil ou au silence. Et nous avons, par notre départ, laissé faire.
Partir n’est pas un crime.
Mais partir sans jamais regarder en face ce que l’on abandonne, sans jamais interroger notre responsabilité morale, en est un autre. En quittant le pays, nous avons aussi quitté l’arène. Nous avons cessé de déranger, de résister, de peser. Nous avons laissé le champ libre avec ceux qui détruisent, pendant que nous reconstruisions ailleurs nos vies, souvent avec une culpabilité muette.
Je ne parle pas ici d'héroïsme facile, ni de sacrifices imposés. Je parle de cohérence.
Un pays ne s’effondre pas uniquement sous les coups de ses bourreaux, mais aussi sous le poids de l’absence de ceux qui auraient pu, chacun à leur niveau, opposer une résistance par la parole, par l’engagement, par la présence.
En choisissant de partir, j’ai choisi la sécurité plutôt que le combat. Je l’assume. Mais je refuse désormais de travestir ce choix en neutralité ou en sagesse. Il s’agit d’un renoncement. Et tout renoncement a un coût collectif. Si nous voulons encore prétendre aimer ce pays, alors il nous faut au moins une chose : l’honnêteté. L’honnêteté de dire que notre silence, notre absence et notre fuite ont aussi contribué à laisser le pays se faire piller sans résistance suffisante. Reconnaître cela n’est pas se condamner. C’est, peut-être, le premier pas pour cesser d’être des spectateurs et de redevenir, un jour, des acteurs.
Auteur : Wesley CARDICHON, l'immigré

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